|
Autrefois, les sabotiers
travaillaient en forêt dans des huttes temporaires dites loges, qu'ils construisaient sur place en raison de la difficulté du transport du bois. Au
début du XIXème siècle, le métier réglementé pour éviter
l'utilisation de résineux et les
fréquents incendies, les sabotiers quittent la forêt pour s'établir dans les villages. Le bois est alors acheminé
jusqu'aux échoppes des "sabotiers-débitants". La
demande est grande, 3 paires/l'an dit-on, ce qui rend
le marché du sabot porteur !
"Plusieurs essences peuvent
faire le bonheur des sabotiers : le bouleau, léger,
bon marché, dans lequel on peut tailler des sabots frais
l’été, mais un peu froids l’hiver, l’aulne, léger lui aussi, apte à
la fabrication du sabot découvert, l’orme, moins glissant
que les autres essences, et surtout le hêtre, dur et solide,
le bois des sabots blanc-crème des agriculteurs qui ont pour
seul défaut d’être assez peu chauds l’hiver et de se fendre
aux intempéries ...
L’hiver,
la paille qu’on y met tient chaud. L’été, la fougère, plus
légère, rafraîchit ...(1)"
|
"Les sabots constituent un des marqueurs décisifs de
l’identité de celui dont ils révèlent la présence.
Placés devant la porte, ils signalent celle du
gêneur comme celle de la personne aimée. A la campagne, "on
était annoncé par le bruit de ses sabots"; on
reconnaissait à leur rythme ceux, plus lents, des
vieillards, ceux, plus vifs, des jeunes gens ou bien encore
le pas traînant, raclant du travailleur fatigué, de retour
de la moisson. Sans oublier la différence, perçue d’emblée,
entre la légèreté affairée des sabots féminins et la
lourdeur tranquille des sabots masculins.
En bref, autant que le chant de labour, autant que le bruit
de ces voix familières, dont il n’était pas même nécessaire
de percevoir le sens pour se sentir assuré d’une présence,
la scansion des sabots contribuait à l’ambiance sonore des
lieux. Au cours de la
série d’incendies volontaires
qui marquèrent l’année 1830, en cette Basse-Normandie, on
condamna à mort un coupable présumé car l’un des témoins
assurait avoir reconnu le bruit de ses pas. |
Les sabots font ainsi partie, intimement, de
l’univers du paysan; sans cesse, il les entend qui sonnent
à ses pieds. Il les sent fumer au coin du feu. Il les voit
s’user au rythme de son labeur et se faire, à leur manière,
gardiens de la mémoire de soi. Cette valeur identitaire
incite à ranger religieusement les sabots des trépassés;
mieux encore que les vêtements du mort, ils s’imposent comme
l’ultime souvenir d’une présence...
La nudité au contact de la paille, du bois ou de la fougère,
confère au sabot une valeur sensuelle. … "Se laisser
déchausser" pour une jeune fille, c’est s’abandonner au
désir de l’homme, comme de quitter sa ceinture ou son
tablier. "Avoir cassé son sabot" c’est s’être laissée
déflorer. "Changer de sabot", c’est prendre une maîtresse ...!
(2)"
"(1)(2)"Extraits "Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot,
Sur les traces d’un inconnu 1798-1876" par Alain Corbin
►
Histoire et
fabrication des sabots
|
|