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Et pourtant,
ainsi que l’extrait du cahier de doléances le décrit si
savoureusement :
"...
Les chemins sont toujours
déplorables ! ... et les pertes que le bourg éprouve par le mauvais
état des chemins et le défaut de communication sont plus grandes
qu’on ne se le persuade.
Les grains de toutes espèces et les
comestibles, les bois de chauffage et de construction, les matières
premières employées à la fabrication des toiles, aux arts et
métiers, et autres objets d’importation, sont plus chers à
proportion que le transport en est plus coûteux.
Les chemins sont impraticables dans
les longs et rudes hivers. Les eaux souterraines qui jaillissent à
mi-côte forment des glaces qui remplissent toute leur surface. Nous
avons vu que dans l’hiver de 1786, après cinq ou six jours de gelée,
une charrette sans aucune charge, attelée de quatre bons chevaux qui
ne purent monter le chemin de Vimoutiers à Orbec, fut obligée
de rétrograder après trois heures d’efforts pour parcourir peut-être
dix toises (vingt mètres).
Les difficultés de l’exportation sont
particulièrement préjudiciables à la manufacture de toiles, parce
que ces difficultés rebutent les étrangers qui viendraient en faire
l’achat sur le lieu même de la fabrication, ce qui est favorable au
vendeur. Il en propose le marché avec assurance, et toujours il le
conclut avec profit. ...
►►
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... Il en est bien autrement quand,
transporté à trente ou quarante lieues loin de chez lui et chargé de
marchandises dont le débit lui est nécessaire, il se trouve à la
merci de l’acheteur et obligé de vendre à perte. Quand la toile se vend sur le lieu de
sa fabrication, l’acheteur venu en faire l’emplette ne s’en retourne
pas sans l’avoir faite et s’il l’a achetée cher, cette plus-value
tombera sur le consommateur à qui il la reporte et la débite.
Quand au contraire la toile se vend
sur les lieux éloignés de sa fabrication, le vendeur qui n’a pas
fait en vain les frais du voyage, ne s’en revient pas sans l’avoir
vendue et s’il la vend à perte il s’en venge sur l’apprêteur, le
tisserand, la fileuse, à qui il diminue le prix du travail.
Ces observations ne sont pas
métaphysiques, et prouvent combien il serait désirable pour tout le
canton que les accès de Vimoutiers fussent praticables, combien il
en résulterait d’avantages pour les diverses fabriques de toiles qui
sont la ressource et la vie de ses habitants.
Si ces chemins étaient réparés et mis
en bon état, Vimoutiers ne serait pas le seul endroit qui en
profiterait : les paroisses de son arrondissement y trouveraient
également un avantage dans le transports de leurs cidre,
eaux-de-vie, beurres et fromages, leur seul commerce d’exportation,
etc ..."
►Cahiers de doléances
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Fabrication de la Toile de
Vimoutiers
la récolte du lin
Les blanchisseries,
blanchiries ou curanderies
Ces grandes cuves à Vimoutiers
servaient au
blanchissage des toiles
Séchage et blanchiment sur
le pré
La Gosselinaie, maison Laniel
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En 1806, a lieu la fondation de la maison Laniel
Fontaine, blanchisserie à La Gosselinaie, près Vimoutiers qui compte
maintenant 3300
habitants.
En 1806 et 1819, la réputation des "Toiles de
Vimoutiers" est confirmée par leur succès à l'Exposition des
produits de l'Industrie Française à Paris.
En 1820, le bourg prend
le nom de ville et pour l'occasion quelques rues sont pavées, mais c'est avec l'arrivée de Stanislas Gigon Labertrie,
maire à compter de 1830, qu’enfin des routes et ponts carrossables sont véritablement
construits. Vimoutiers compte alors 4200 habitants dont
une dizaine de blanchisseurs. La production moyenne annuelle est de
15.500 pièces en cette première moitié du 19ème siècle et, dans un
rayon de cinq lieues, cette fabrication anime 5000 métiers autour
desquels 20.000 ouvriers s’affairent. Le textile règne sur
toute la région.
Dans ce même domaine économique, dès
la fin du 18ème siècle, la mécanisation de l'industrie textile*, est
aboutie en Angleterre alors que la France oppose une grande
résistance à l'évolution industrielle, et que l'affrontement franco-anglais
est à son paroxysme. L'Angleterre a créé la première un système de
brevets industriels et elle prohibe ainsi l'exportation de ses
technologies jusqu'en 1825.
"En 1844 les trois frères Alexandre,
Alphonse et Eugène Laniel, sentant venir la crise et pressentant cet
avenir inéluctable du tissage mécanique, envoient l’un d’eux en Angleterre, pour étudier la question. Le
messager revient enthousiasmé par ce qu’il a vu. Il décide ses
frères à acheter une usine, près de la voie du chemin de fer. Ils
trouvent à Beuvillers, tout près de Lisieux, ce qu’ils cherchent et
montent le
premier tissage mécanique de la région de l’Ouest"
JB
Ce tissage qui prend un essor rapide, alimente la blanchisserie de la Gosselinaie,
atelier artisanal dont ils prennent la succession et qu'ils
transforment en usine de blanchiment en 1849. L'usine de Beuvillers démarre
avec 99 métiers à tisser et la blanchisserie de la Gosselinaie
passe rapidement de 5 à 40 hectares.
Vimoutiers a alors encore une
grosse importance industrielle mais selon un discours du Docteur Delaporte en 1853 :
"La principale branche du commerce de
la ville et des populations rurales du canton de Vimoutiers
appartient à la fabrication des toiles de fils, dites cretonnes.
Mais encore que notre fabrique soit devenue très importante sous le
rapport de la quantité de produits, due à l’emploi de navettes
volantes et du roulage continu, dont le sieur Trosley Mathieu, l’un
de nos concitoyens, est l’inventeur, nous sommes obligés de convenir
que l’industrie toilière n’a pas fait de progrès dans le tissage …"
*L'essor des manufactures dans
►La
Révolution industrielle
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En 1860, les Anglais profitent du
traité de libre-échange pour inonder le marché français de leurs
productions, cette concurrence s'ajoute aux importations
belges et l'industrie Française doit affronter le choc soudain de la
compétition étrangère dans le contexte difficile de la rareté du lin
et la disette du coton. Pour un temps, les productions diminuent de
presque moitié.
A l'Exposition
Universelle de 1867, un
envoi de la maison Laniel vaut à son chef la croix de la
Légion
d’honneur …
Cette même année 1867,
ce sont près de
5000 tisserands qui sont recensés dans la région et
C. Gauthier
dans un ouvrage traitant des différents aspects de la géographie de
l’Orne, présente Vimoutiers comme l’un des deux centres
manufacturiers le plus importants du département à l’égal d’Alençon.
Il écrit :
"C’est là que l’on fabrique les
beaux tissus désignés sous le nom de toiles cretonnes, du nom de
Paul Creton, né à Vimoutiers et qui en fut l’inventeur".
En 1870, il n’y a plus de métiers à
toile chez les paysans et Vimoutiers n'est plus un véritable centre
industriel, mais le nom réputé de "Toile de
Vimoutiers" est réservé aux toiles Laniel qui
en ont
obtenu
le monopole par plusieurs jugements, le préservant d'un même coup du
domaine publique.
La fabrique de Beuvillers est en plein
essor et la blanchisserie de la Gosselinaie
maintient la prospérité à Vimoutiers : "d’abord parce
qu’après avoir adopté le métier mécanique, la fabrique Laniel sut le modifier pour
conserver au tissu la finesse du grain qu’il devait au métier à
main, ensuite parce qu’elle pratiquait ce blanchiment sur nos prés."JC/MC
L’usine Laniel réussira à résister aux
deux guerres mondiales et comptera jusqu’à 300 ouvriers et 250
métiers à tisser au début du XXème siècle.
Pourtant en 1953, elle fermera ses
portes alors que la famille Laniel est à son apogée politique,
l'un d'eux, Joseph Laniel né à Vimoutiers, est en effet président du
Conseil des ministres. La fermeture de cette
usine marque la fin de l'industrie textile dans la
région.
La réglementation de 1738 ayant été
supprimée, de nos jours, l'appellation "cretonne" se galvaude de
toiles de chanvre, en toiles de lin, voire même bien souvent de
coton. Il en émane cependant toujours une idée de solidité mêlée de
raffinement.
►Exposition
Universelle
►
Joseph Laniel, homme politique
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Fabrication de la Toile de
Vimoutiers
La
mécanisation
Une salle de tissage
Usine Laniel à Beuvillers
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Sources:*JB/B/AP/CG/JC/MC/AB:Jean Bard, Brion, A.Pernelle,C.Gautier, J.Chennebois, M.Campion,
Alfred Bell, le CNAM
►Rédaction,
Sources et bibliographie
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